jeudi 14 juin 2012

Parque National Los Nevados, semaine dans la ferme d’Humberto du 18 au 26 mai 2012

Je commençais à douter de sa parole, mais quelle agréable surprise quand j’entends la voix de Don Humberto au téléphone me confirmant que j’étais le bienvenue dans sa ‘finca’ ! Il venait d’arriver de ses montagnes et pensait remonter 2 jours plus tard.
Au final, quelques jours d’attente dans le village de Salento, compréhensible sachant que l’ancien ne descend qu’une fois par mois, qu’il doit vendre ses fromages, voir sa femme et sa fille et faire ses courses pour le mois. Cette attente m’aura permis de rencontrer pas mal de gens, touristes comme locaux, de faire 2 promenades dans les environs, dire adieu à mes compagnons de randonnée…
L’expérience commence bien puisqu’il nous faut quelques heures avant de retrouver les chevaux d’Humberto qui s’étaient fait la malle pendant son absence ! Mais me voilà enfin perché sur un cheval, sans selle, moi qui n’en ais presque jamais fait, pas très à l’aise !
Au final, 8 heures de montée (on en avait mis 12 la première fois que nous l’avions fait à pied avec nos sacs bien chargés !), moitié sur le cheval, moitié en marchant, celui refusant d’effectuer les passages difficiles avec la charge que je représente et ayant compris que j’étais trop bon pour le martyriser jusqu’à ce qu’il craque ! C’est pas con ces bêtes ! Humberto passe la montée à jurer, faire des bruits d’encouragement, et sa mule n’a pas intérêt à refuser d’avancer, la sentence est terrible !

Humberto avec sa mule, dans la forêt et la boue
8 jours dans la ferme d’Humberto, à partager la vie de ce paysan peu ordinaire vivant dans des conditions plutôt sommaires :
La ferme est à plus de 3500 mètres, faite de murs de boue, s’effondrant par endroit, avec un toit de paille un peu percé, duquel pendent des stalactites de graisse. Aucune liaison entre le toit et les mûrs, le vent entrant par tous les côtés, rendant les soirées glaciales !

La ferme de Don Humberto, perdue au milieu des montagnes
Heureusement qu’il y a la cuisine au feu de bois pour se réchauffer, quoi que ! La cheminée tirant mal, la pièce se remplit rapidement de fumée, conférant aux vêtements cette odeur caractéristique qui m’envellopera pendant tout mon séjour. Bien entendu, pas d’électricité, lumière à la bougie, l’eau vient de la rivière et est glaciale ! Mais une énorme casserole d’eau repose sur le feu toute la journée, permettant de se doucher à l’eau tiède le soir venu.
La cuisine d'Humberto: on peut voir les trous dans les murs... Sur le feu: la soupe de pommes de terre, le café, le chocolat au lait, de l'eau... et au plafond, des morceaux de porc...
Je dors dans une pièce dont le toit s’effondre, un matelas dur comme de la pierre, sous 8 épaisseurs de couverture, tout juste pour ne pas avoir froid. La bouteille remplie d’eau chaude que l’on glisse dans les draps avant de se coucher est un bon complément !

Les journées se succèdent, selon un certain rituel pour Humberto. Lever vers 6 heures, il découvre les braises recouvertes de cendres la veille et commence à attiser le feu, opération qui nécessite une bonne demi-heure. Préparation du ‘tinto’, le café, très sucré (il en boit presque 1 litre par jour), de la soupe de pomme de terre qu’il laisse sur le feu pendant quelques heures, son petit-déjeuner de tous les jours.
Suite à cela, il peut attaquer la journée à l’extérieur.
Il commence par faire entrer les vaches dans un enclos et les veaux dans un autre, qui sont restés séparés toute la nuit. Puis il forme les couples veau-vache, 1 à 1, fait téter chaque pis de la vache pour faire ‘descendre’ le lait, puis commence à traire.
Opération répétée 11 fois, nécessitant à chaque fois d’attacher la vache, se battre avec le veau, aller chercher le seau, pataugeant dans un mélange de boue et de bouses.
Les conditions d’hygiène ne sont pas tout à fait américaines : ses mains sont noires de boue, les pis des vaches pas très propres, tout le matériel qu’il utilise plein de terre… Ca change des conditions d’hygiène que nous imposait Ana quand nous étions dans la ferme en Argentine, nous faisant laver les pis à l’eau tiède, nos mains avant de traire, leur passant de la crème apaisante après avoir trait…

Un peu cow-boys, à la recherche du troupeau!
En parallèle de cela, il doit courir déposer le lait dans un bidon plus grand, attiser le feu, surveiller sa soupe et le chocolat au lait, faire rentrer le veau correspondant à la vache qu’il souhaite traire tout en évitant que tous ne rentrent, que ne sortent les vaches, pestant, jurant, gueulant…
La traite de 11 vaches lui prend approximativement 3 heures, effectuant une pause petit-déjeuner au milieu : sa soupe de pommes de terre accompagnée de chocolat au lait.
Une fois la traite terminée, il faut nourrir les chiens, préparer le déjeuner, et le reste de la journée varie en fonction des jours et des besoins : couper du bois, 1 fois par semaine il lui faut faire le plein de bois, c'est-à-dire une heure de cheval pour arriver à la forêt, couper à la tronçonneuse, charger les chevaux, opération nécessitant beaucoup de force et de temps… Comment peut-il faire cela tout seul ? Surtout que les 2 fois où nous y sommes allés, un des 2 chevaux a perdu sa charge, opération de chargement nécessitant une bonne heure !

Transport de bois

Le" centre d'appel" du 'Paramo': endroit où il y a du signal et où ils peuvent passer un coup de fil, à 1h de cheval de la ferme. Humberto s'y rend tous les dimanches pour appeler sa famille, s'habillant élégamment...
Le soir le feu tourne à plein régime pour la préparation du fromage à partir du lait du matin, ainsi que pour le dîner, toujours à base de riz et de haricots rouges. Et comme il restait du cochon tué la semaine précédente, lard et côtes cuites dans l’huile.
Don Humberto:
Humberto est un personnage très spécial. Nous avons eu le temps de partager et j’ai pu me rendre compte que sous ses airs de paysan bourru, il avait une histoire vraiment intéressante, et surtout très liée à celle de son pays.

Humberto, le personnage!
-Il est né dans les montagnes, à quelques kilomètres de sa ferme actuelle. Ses parents ont dû abandonner leur ferme dans les années 60, alors qu’il avait une dizaine d’années, pour fuir un groupe de libéraux qui faisaient régner la peur dans les montagnes et qui ont détruit toutes les maisons du paramo pendant la période dite de la ‘violencia’ qui a ensanglanté le pays pendant des dizaines d’années.

-Quand il avait une vingtaine d’années, il est allé travailler dans un département du sud du pays, comme ouvrier agricole tout d’abord, travail qui a vite évolué sur la cueillette de la feuille de coca, puis dans un laboratoire de fabrication de cocaïne, du moins de la ‘base’ servant à la fabrication de celle-ci. Il m’a expliqué le processus de fabrication, une sacrée cochonnerie ! La feuille de coca est mélangée avec du ciment, puis du gazole, puis du sulfate et du bicarbonate, pour obtenir cette ‘base’, que produisent les laboratoires clandestins dans des zones reculées du pays. 12 kilos de feuilles de coca, ce qui doit représenter un sacré volume, payés 5000 pesos=2 euros, permettent d’obtenir 20 grammes de cette ‘base’.
La cocaïne est généralement fabriquée dans des zones plus ‘civilisées’, souvent à destination, puisqu’il faut un four et de l’électricité.

-Il a ensuite obtenu un terrain sur lequel il a monté son laboratoire pendant quelques années avant de l’abandonner quand la politique de répression de l’ex-président Alvaro Uribe est devenue trop forte et que les labos tombaient les uns à la suite des autres.

-Suite à cela il a fait ‘mula’, c'est-à-dire qu’il transportait cette ‘base’ depuis les zones de production jusqu’au centre du pays.

Tout cela n’est pas glorieux, mais je pense que c’est assez représentatif de ce qu’ont pu vivre les colombiens pendant des dizaines d’années et des opportunités qui s’offraient, et s’offrent encore, à des gens pauvres.

-Et depuis une dizaine d’années il travaille comme un fou dans cette ferme, ne vivant que de la vente de ses fromages, descendant 1 fois par mois au village, ce qui lui permet de générer plus ou moins 200 euros par mois, moins que le salaire minimum colombien de 250 euros ! Sa femme vit dans un village de la vallée avec sa fille et une autre qui n’est pas de lui. Elle a 30 ans, lui en a 65, il l’a rencontrée parce qu’elle est d’une ferme proche de la sienne (5h de cheval) et qu’il l’avait engagée pour les travaux domestiques… Il était sacrément énervé contre elle parce qu’il venait de découvrir qu’elle entretenait une liaison avec son frère, à elle, avec qui elle avait déjà eu un enfant mort-né. Cela doit être normal dans ces zones reculées, mais ça surprend !

En parallèle de cela, il a un ‘don’ pour les forces occultes et a en plus suivi une formation. Assez étrange de le voir lire les cartes à la lueur de la bougie, changeant complètement de personnalité.

Parfois son côté paysan était un peu rude, surtout quand il toussait à s’arracher la gorge au dessus des plats qu’il était en train de cuisiner, qu’il crachait par terre dans la cuisine ou sur ses murs en se brossant les dents, prétextant que ça humidifiait la boue.
Il semblerait que les bactéries se développent beaucoup moins à cette altitude, heureusement parce qu’au vu des conditions d’hygiène, il y aurait eu moyen de rencontrer 1 ou 2 cochonneries !

Une dernière après-midi durant laquelle Humberto m’emmène pêcher à la canne et autant je ne suis pas fan de pêche en général, n’ayant aucune patience, autant celle-ci fut hallucinante avec un total de 54 truites! Pas très grosses certes puisqu’il y a une dégénérescence, mais au moins on peut dire qu’il y a eu de l’action et que nous n’y sommes pas allés pour rien !

Au dessus de la ferme d'Humberto, la vue sur le nevado del Tolima

Une dernière vision avant la redescente

Arrivé dans la vallée de Cocora, 6ème passage, mais c'est toujours aussi beau!
Au final 8 jours absolument passionnants, j’hésite bien à rester avec lui quelques jours de plus, je me sens bien là haut ! Mais il faut redescendre, poursuivre le voyage…
Et puis une grosse soirée de prévue pour le départ d'un français avec qui j'avais bien sympathisé et qui tient un hôtel-Camping avec 2 potes à lui à Salento...

1 commentaire:

  1. Énorme. T'es sur qu'il épiçait pas un peu ses fromages avec les résidus de son ancien métier? Content en tout cas que tu ais survécu.
    Mais où t’arrêteras tu?

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